La Bergerie du Poète au Domaine de La Saussaye

PROTECTION DE LA MAISON DU POÉTE

 

La bergerie au domaine de La Saussaye

  1. Le parc et la demande de protection.

  2. Un site géographique et son histoire.

  3. Un cadastre antique apparaît ainsi qu’une possible composition du XVIème siècle.

  4. Le château.

  5. Des autres bâtiments sur le tertre.

  6. La bergerie, sa restauration intérieure. La conservation et la mise en valeur des espaces du parc.

    1. « La bergerie » n’est pas un bâtiment isolé dans quelque paysage reculé de l’Essonne c’est une partie de la cour des communs d’un ensemble remontant aux XVIIème et XVIIIème siècles qui formait la basse-cour d’une résidence aristocratique dominée par un château ou maison de plaisance précédé de sa cour d’honneur et ouvrant par ailleurs sur un jardin de représentation avec parterres de broderies comme aurait pu en dessiner Claude Mollet. La particularité de la composition de cet ensemble est de tenir dans un quasi rectangle de 65m.par 86m environ entouré de douves en eau au sein d’un parc parcouru de canaux qui forme encore une pièce d’un seul tenant de 13 hectares.

    La demande de protection au titre des monuments historiques de l’ensemble, émanant de deux associations de Vert-le-Grand dont la Société des amis de Rolland Dubillard, qui habita 25 ans ces lieux, est en train d’aboutir ; la commission permanente de la CRPS (Commission Régionale du Patrimoine et des Sites) a donné un avis favorable à son examen et à sa présentation devant cette commission en mai prochain.


    Figure 1 plan d’intendance XVIIIème siècle (archives départementales de l’Essonne)

2. Le sud de la plaine de Hurepoix se creuse ici en un vallon où s’écoule le ru Misery de direction est-ouest. Le parc se présente actuellement avec un accès transversal à ce val depuis le nord où les grilles donnent accès à une avenue de tilleuls qui descends jusqu’à l’eau sur un dénivelé de 8 m environ. On se retrouve progressivement à couvert sous les arbres dans un lieu calme et insoupçonné. Deux vastes prairies ont bordés cette descente comme deux grands poumons de part et d’autre de l’allée. En haut de cette avenue un seul des deux pavillons d’entrée demeure en place.

Deux ponts de pierre franchissent un canal dédoublé qui nous mènent sur le terre-plein par de nouvelles grilles ; les bâtiments sont « en carré », sur chacun des côtés, adossés aux murs de soutènement sur l’eau regardant vers l’espace central ; sur la droite les lieux alentour du château, sur la gauche l’ancienne cour des communs et au-delà des douves, des prairies se distinguent transversalement en direction de l’ouest et de l’est.

Au-delà du canal qui borde la rive d’en face et collecte d’autres sources, s’étend une sorte de parc de chasse jusqu’à la lisière des champs ou se tient le Chemin de la Procession qui comme on va le voir plus loin est une ligne de force très ancienne du paysage.
Dans cette troisième séquence, d
’étroites allées recoupent le bois et étirent des diagonales. Dans le plan du XVIIIème siècle (figure 1) une allée d’entrée est marquée de ce côté en direction du Bouchet. Le parc et son bois s’étendait autrefois vers Misery, jusqu’au « Pont aux sœurs » avec un carrefour en étoile comme on le voit au cadastre Napoléonien. (fig. 2)

Figure 2 Cadastre Napoléonien archives départementales plan non daté 

3. Le plan topographique (figure 3) avec ses courbes de niveau, indique comment se calent les plans d’eau et, sur les bords de ceuxci, les bâtiments comme des prolongements dun même ouvrage. Transversalement à la longueur du site se remarquent deux lignes de ponts ; celle de l’avenue de tilleuls par où nous sommes descendus et celle plus à l’est du gué du pont aux sœurs ; entre ces deux voies parallèles la cote de 710m environ bien connue pour être la longueur d’une centurie romaine de 2400 pieds d’époque impériale ; cet indice révèle un très probable cadastre antique que vient confirmer la régularité des limites parcellaires NN-E ; SS-O (direction du « cardo ») et plus encore les structures parallèles des deux localités de Vert-Le-Grand et de Vert-le-Petit, formées chacune de deux centuries; les églises (anciens temples païens) placées à la jointure des deux.(figure 4) De retour sur la Saussaie il est troublant de voir que nombre de limites actuelles du parc sont d’origine gallo- romaines, le chemin de la procession est un axe « décumanus ». Une étude plus attentive devra déterminer si ces bassins d’ « eau vivante » ne seraient pas des ouvrages antiques, redécouverts au XVIème siècle par ceux des architectes qui avaient fait leur « humanités » à Rome et pouvaient en reconnaitre et la qualité constructive et les mensurations. Ces structure appréciées, restaurées ont alors pu être continuées dans la vogue que connaissaient les jardins d’eau en France dans la seconde moitié du XVIème siècle quand les allées plantées longeaient ces « bords d’eau ». Le plan de la maison dite « La Bourdaisière » bâtie sur le bord nord du tertre révèle une partie ancienne plus massive à l’ouest et une extension de deux fois sa longueur initiale vers l’est, elle évoque le XVIème siècle.

Un plan montrant les relations métriques (figure 5) entre le grand canal et les douves bordées d’allées plantées, formant un grand carré central, invite à lire une composition remontant probablement à cette époque.

Figure 3 plan topographique ( archives départementales)

Figure 4 Intuition d’un cadastre antique. Repérages à Vert-le-Grand, parc de La Saussaye. IGN 1/25000

Figure 5 Hypothèse de composition du XVIème s. sur un site ancien préexistant (module de 30toises)

4. Le château à lui seul concentre la mémoire du lieu sur au moins quelques deux mille ans. Il fait revenir à nous cette comparaison qu’utilise Jung pour évoquer la profondeur de l’âme humaine : « Nous avons à découvrir un bâtiment et à l'expliquer : son étage supérieur a été construit au XIXe siècle, le rez-de-chaussée date du XVIe siècle et l'examen plus minutieux de la construction montre qu'elle a été faite sur une tour du IIe siècle. Dans la cave, nous découvrons des fondations romaines, et sous la cave se trouve une grotte comblée sur le sol de laquelle on découvre dans la couche supérieure des outils de silex, et, dans les couches plus profondes, des restes de faune glaciaire. Telle serait à peu près la structure de notre âme. » (Cité par Gaston Bachelard dans l’introduction à « La poétique de l’espace » ; éditions PUF p.28)

On peut voir le château de la saussaie s’illustrer dans au moins quatre époques superposés :

  1. Une base gallo-romaine que forme un rectangle de 50 pr.( pieds romains ) qu’un mur de refend partage en deux parties égales nord et sud ; la partie sud redivisée en 25pr ; la salle à manger carrée, et 13pr; la cage d’escalier.

  2. Un premier château à rez-de-chaussée sur cette base antique, surmontée d’un grand étage, et d’un étage mansardé, sous un toit d’ardoise pyramidal à deux croupes que l’on pourrait dater du premier quart XVIIème siècle, très proche de celui que nous voyons aujourd’hui. Sa façade principale composée de quatre travées ouvrant à l’est sur une cour d’honneur de dessin carré ; très probablement flanquée de deux ailes délimitant cet espace extérieur de réception. (figure5). C’est dans le grand salon que Pierre d’Alméras reçoit Richelieu et Clément Métezeau pour regarder, dans le secret, le projet de digue devant empêcher les anglais de venir au secours des Rochelais en 1627 (figure 6).

  3. Un second château, développement du premier où le corps principal devient l’ancienne aile gauche épaissie et surélevée d’un étage, ouvrant au sud sur le jardin carré du sud et s’étendant au-delà de la douve dans le jardin en hémicycle taillé dans le bois, et loin au-delà vers le Bouchet. La cour d’entrée est dès lors tournée au nord. Une chapelle se trouvait peut-être à l’articulation avec la cour des communs. (voir figure 1 et 2).

  4. Des transformations dans le courant du XIXème qui se terminent en 1890 par la démolition presque complète de l’aile sur jardin et de celle en retour qui joignait l’extrémité ouest la bergerie ; est alors construite une tourelle à toiture d’ardoise flanquée de lucarnes qui tourne à nouveau le château vers l’est ; dans la direction du pont de pierre tardif donnant accès aux jardins de la prairie est, aménagés dès la fin XVIIIème où il est question d’une serre.

    Le château 1900 n’organise plus d’espaces autour de lui, c’est le « free standing building » que l’on voit aujourd’hui; il domine tous azimuts le paysage alentour, on en cherche l’entrée. Heureusement demeurent les canaux « détermineurs d’espaces. »

Figure 6 Pierre D’Alméras reçoit Richelieu et Clémént Métezeau au cht. de La Saussaye (vers 1627) collection particulière. On observe à gauche la porte entrebâillée de la cage d’escalier dont on perçoit l’oblique du limon. 

5. Des bâtiments qui complètent l’occupation du tertre central sur les trois autres côtés

nous avons déjà évoqué la « bourdaisière » sur le côté nord qui semble avoir fait le lien entre des occupations très anciennes du site et l’époque moderne (1453) ; c’est aussi la remise à voiture à l’est flanquée de sa tourelle qui devrait marquer le centre d’un long bâtiment de deux ailes de 10 toises chacune, aujourd’hui raccourcies de part et d’autre ; les pignons ayant été transformés en croupes, au mépris de la charpente. Le rez-de- chaussée de cette tourelle permettait de garer une voiture de grande longueur ce qui évoque encore Pierre d’Alméras contrôleur général des Postes.

Au sud se place la bergerie de 32,5m de long soit 100 pieds de roi formée d’un haut rez- de-chaussée et d’un comble; une partie en retour joignait le château XVIIIème où se plaçait peut être déjà une cuisine. On lui voit les mêmes baies à plein cintre avec les trois clefs saillantes en grès que dans la « Bourdaisière » en face. Un point d’eau et lavoir est indiqué dans les descriptions du XIXème siècle au centre de la cour ; les différentes façades seraient à restituer et à mettre en correspondance les unes avec les autres dans cet endroit doublement central et intérieur, et par les canaux autour et par les bâtiments construits à l’aplomb des parapets.

On retrouve le même matériau grès dans les chainages, chaines d’angles, tableaux de baies, soubassements, corniches, autant dans la cour des communs qu’aux angles du château, plus visibles sur l’arrière ainsi que dans les murs contenant les terres en bordure des canaux. Le XVIIème siècle serait bien la période à élire pour adopter un parti de conservation.

6. Dans les jours qui suivirent la mort de Roland Dubillard dans sa maison de la bergerie se déclara un feu de cheminée qui vint obscurcir la salle entière du rez-de- chaussée, les salles du bout et celles mansardées de l’étage.
Une litre funéraire se 
peignait alors sur les parois qui donnèrent l’opportunité d’une remise en peinture et en lumière de ces salles à double orientation réfléchissant en plafond le miroitement des eaux sur le canal.

Les principes de conservation et de réfection avec mise en valeur peuvent s’appliquer au clos et au couvert des bâtiments de l‘île et du parc et ainsi que des espaces paysagers avec le même bonheur ; la re-création des plantations d’arbres en lien avec les canaux peut être surprenante et unique à ce lieu. Mais les récentes destructions de haies et d’abattage d’arbre inconsidérés ont montré la fragilité de ces espaces qui sont le bien de tous.

Le plan romain (figure 4) montre comment les deux parcs de Vert-Le-Grand ; le Guichet et La Saussaye assurent une respiration à la petite agglomération qui a traversé deux millénaires. Ces parcs s’apparentent aux espaces urbains aux perspectives limitées, que sont les quartiers bâtis, les rues, les places, les jardins, les ponctuations, comme celle du clocher restant au centre, où l’on peut lire l’heure au cadran.

Ces espaces de l’intérieur de la ville ou du village se différencient radicalement de l’« openfield » ou « champ ouvert » alentour, ces espaces sans limites, sans haies, inhabitables en somme.

Un réel danger menace maintenant le parc de la Saussaie du côté de l’entrée nord depuis que les élus communaux ont choisi d’abattre les arbres en limite des terrains de sports et le long du mur du parc rue des Gaches , sans projet paysager, sans replanter. (figure 7)
Ces espaces se confondent maintenant avec un champ
ouvert qui s’étends jusque vers la butte du télégraphe. Nous pensons que ce geste malheureux a dépassé leur intention. Il s’agit d’une régression en matière d’aménagement urbain et paysager ; c’est en quelque sorte un paysage de hasard qui a repris du terrain sur l’espace civilisé du cadre de vie, ici de grande qualité.

Il serait intéressant de mieux considérer les terrains de sport et de leur donner un vrai statut d’espace de vie et non seulement de lieux fonctionnels. Ils apporteraient des espaces « en plus » au lieu de se servir et de grever le parc voisin qu’ils mutilent.

Il est temps aussi de considérer que l’architecture n’est pas ou pas seulement, le fait d’objets plein plus ou moins agressifs par rapport à leur environnement ; l’architecture, et surtout celle des villes et villages est le fait de lieux en creux qui se produisent entre ces objets bâtis ou plantés.
 
Figure 7 

La Société des Amis de Roland Dubillard est soucieuse de veiller à la protection et au rayonnement de la Bergerie du Domaine de La Saussaye, où Roland Dubillard a habité durant les vingt-trois dernières années de sa vie.

Aussi, la Société des Amis de Roland Dubillard a demandé la sauvegarde et la protection de ce site doté d’un environnement exceptionnel, dernièrement acquis par la Commune de Vert-le-Grand.

Une expertise en matière de protection du patrimoine et des conseils sont recherchés afin de trouver un accord entre la Municipalité de Vert-Le-Grand et la Société des Amis de Roland Dubillard pour que La Bergerie du Domaine de La Saussaye, dernier refuge du poète après son accident survenu en 1987, soit maintenu en l’état, et devienne un lieu de mémoire et d’éducation pour les générations futures. 

La Saussaye à Vert-le-Grand